En lisant des contes le soir à nos enfants, en leur montrant les images correspondantes sur des albums réalisés par des adultes pour les petits, en faisant attention à ne pas changer les mots, à coup sûr nous les endormons. Nous leur donnons parfois le goût de la lecture. Mais si nous avons le sentiment de poursuivre l'ancestrale tradition des veillées alors nous avons tout faux.

Le livre tue le conte en le transformant en littérature. La parole dite peut s'oublier, se reprendre, se corriger, se nuancer, se préciser, être trahie, être déformée. L'écrit fixe, fige, fait preuve, fait mémoire.

L'écrit a permis d'établir des contrats, des lois, autant de textes qui ralentissent l'évolution naturelle de la pensée et des sentiments.

Le conte ne fait plus partie de nos traditions.

Le conte antillais survivra-t-il longtemps ? Gardera-t-on, en Martinique et dans de rares vallées dites "reculées" de la France, le goût des veillées, quand les écrans envahissent les esprits.

Tous nos contes traditionnels ayant déjà été enterrés dans du papier, nos ethnologues vont chercher sur le continent africain ou chez les aborigènes de "vrais contes" pour les écrire pour nos  enfants. Et quand ils n'ont pas le courage d'affronter le dépaysement, ils les inventent à la manière de. Que reste-il alors de la nature du conte africain, aborigène, amazonien ?

Faut-il les bannir pour autant ? Certainement pas, à condition qu'ils soient l'occasion de présenter d'autres mondes, ce qui suppose un minimum de documentation préalable.

Ce que nous proposons, ce n'est pas tant de nous rendre au cœur du Fouta Djalon à la découverte d'une nouvelle perle à commercialiser, mais de déconstruire les écrits pour libérer les contes qu'ils enferment.

Le conte appartient au conteur et à son public. Pas de droit d'auteur puisque tous sont des voleurs de contes traditionnels à part les créateurs souvent écrivains et non conteurs.

Le conte c'est d'abord de l'oral, adapté à son conteur autant qu'au public auquel il s'adresse.

Le  conte propose une explication.

Tous les contes sont nourris d'emprunts. Tous ne respectent pas la morale, la philosophie les couleurs de l'original. Doivent-ils véhiculer une tradition qui nous est étrangère ?

Le conte se faisant mythe raconte, explique, les origines d'un peuple ou du monde, en se mettant à la portée de ceux qui l'écoutent.

Le conte prolonge librement le proverbe et dicte une morale qui est celle d'une société ou qui est celle du conteur lui-même.

Il a bien d'autres fonctions encore à préciser, à découvrir, à inventer. Qui ne reconnaît pas Hitler dans le Vampire de Painlevé, tourné pendant la guerre ? Qui ne reconnaît pas la France colonialiste dénoncée dans les contes antillais ?

En d'autres termes, ne faisons pas réciter ni jouer des contes à nos enfants. Autorisons-les à créer, à imaginer et dire des contes.

Michel